Un marché tendu, de nombreuses réformes à mener et un prix au m2 qui risque de se maintenir
Crise du logement, crise immobilière, ces termes sont sur toutes les lèvres. Mais qu’en est-il vraiment ? Nous sommes allés à la rencontre de Michel-Edouard RUBEN, économiste à la Fondation IDEA asbl.
Comment percevez-vous la politique luxembourgeoise en matière de logement ?
De mon point de vue, la politique du logement — passée et actuelle — conduite au Luxembourg est énigmatique et remplie de paradoxes. Mais elle semble surtout très difficile à mener. La politique du logement doit atteindre de nombreux objectifs (sociaux, urbanistiques, territoriaux, écologiques, environnementaux, patrimoniaux, financiers, familiaux, politiques, etc.) hétérogènes et difficiles à atteindre et mobilise de nombreux instruments (fiscaux, règlementaires, légaux, etc.) qui ne forment pas toujours un tout cohérent. À tout cela s’ajoute une multitude d’acteurs qui interviennent dans la définition et la conduite de la politique du logement contrainte par d’autres politiques (monétaires, environnementales, d’attractivité, d’investissements en infrastructures publiques, de préservation du patrimoine), mais aussi par les recours judiciaires de propriétaires récalcitrants. Il n’y a probablement pas de poste ministériel facile au Luxembourg, mais être ministre du Logement est sans doute l’un des plus compliqués.
Selon vous, le logement est-il vraiment en crise au Luxembourg lorsque l’on sait que le pays compte pratiquement 70 % de propriétaires ?
La dernière fois que j’ai dit que la politique du logement pouvait être qualifiée, au moment où je le disais, de franc succès qui a coûté beaucoup d’euros (compte tenu du maintien du taux de propriétaires à un niveau élevé et du montant conséquent des aides publiques à l’accession à la propriété), cela n’a pas été très bien perçu. Pourtant, à l’aune de l’objectif prioritaire officielle du Luxembourg qui est d’être « une démocratie de propriétaires », il s’agit d’un fait incontestable (ce qui évidemment ne dit rien de l’avenir).
Le taux de propriétaires était de 56 % en 1971, 59 % en 1981, 64 % en 1991, 67 % en 2001, 68 % en 2011, 68 % en 2020, ce qui veut donc dire qu’il y a eu sur la période une démocratisation de la propriété immobilière permise notamment par des aides conséquentes à l’accession à la propriété (prime d’acquisition, TVA logement, Bëllegen Akt, déductibilité des intérêts d’emprunts, etc.)
Quand on regarde l’évolution de la population, le dynamisme des prix immobiliers et les transformations des modèles familiaux sur la période, ce n’est pas rien que le taux de propriétaires ait pu se maintenir à des niveaux aussi élevés ; et pour cela, ceux qui ont piloté la politique du logement sur la période peuvent être félicités (ce qui n’interdit pas de leur reprocher d’autres choses par ailleurs).
Aussi, il est trop souvent oublié, je trouve, que la hausse des prix est synonyme pour ceux qui sont déjà propriétaires d’enrichissement. Il sera rétorqué que cet enrichissement n’est pas réel dans la mesure où si on vend son logement il faut dépenser la plus-value pour racheter le même logement qui est devenu très cher. Ce n’est pas faux. Mais c’est aussi vrai que beaucoup de propriétaires habitent dans des logements surdimensionnés, donc réfléchir en prix de rachat du même ancien logement n’est peut-être pas optimal. Je ne m’attends pas à ce que tout ce que je viens de dire fasse l’unanimité, mais je crois vraiment qu’il est important d’avoir cela à l’esprit quand on parle des résultats de la politique du logement jusque-là.
Tout comme il est important d’avoir à l’esprit que peut-être, je dis bien peut-être que si le logement était plus abordable au Luxembourg, le 700 000 Awunnerstaat serait déjà atteint. Je ne dis pas que ce serait mieux ainsi ni que ce serait pire. Mais sachant que certains trouvent que la population est « trop dynamique », je me permets simplement de faire remarquer cette éventualité.
Alors le logement est-il vraiment en crise ? Il me semble que la réponse dépend un peu de la définition retenue de « crise du logement ». Une crise du logement peut être une crise de salubrité et de surpeuplement ; ce n’est pas, semble-t-il, le cas au Luxembourg où le parc de logements est globalement confortable et bien équipé. Cela peut être une crise de manque de logements ! il est souvent évoqué qu’il manquerait 30 000 logements dans le pays. J’avoue ne pas toujours bien comprendre ce qu’implique ce chiffre ! Veut-il dire que le pays manque de 60 000 habitants, si l’on compte au moins deux membres par foyer, ou que l’on devrait disposer de 30 000 logements vacants ? Je ne sais pas. Il est cependant un fait que depuis de longues années, le nombre de ménages privés supplémentaires est plus important que le nombre de logements construits.
Je ne connais pas très bien la réalité du nombre de logements transformés par an ni celle de l’évolution annuelle du stock de logements vacants, mais il y a une équation simple qui dit que si le nombre de logements construits est dans la durée inférieure au nombre de ménages supplémentaires, le stock de logements risque à terme de devenir sous-dimensionné. Quand on considère les perspectives d’évolution de la population, ce risque semble guetter le Grand-Duché.
Que penser des prix ?
J’allais y venir. Il faut effectivement considérer la dimension prix pour apprécier la crise du logement. Sous cet angle, il n’y a pas à dire, il y a un souci de plus en plus aigu qui n’est cependant pas aigu de la même manière pour tous. Il s’agit surtout du taux d’effort des locataires et les nouveaux accédants à la propriété qui a tendance à piquer sérieusement. La crise aigüe du logement est donc une crise qui frappe avant tout les locataires et pas mal de primo-accédants, notamment s’ils n’ont pas eu la chance d’avoir trouvé l’âme sœur ou son frère, car acheter à deux est souvent plus possible que d’acheter seul. En effet, le système d’aides à l’acquisition au Luxembourg a une approche familiale, sans doute héritée du fait que jusqu’en 1989 le logement était rattaché au ministère de la Famille.
Évidemment, le Luxembourg étant un pays dont le dynamisme repose énormément sur l’attractivité, il est compréhensible que cette situation inquiète, mais il ne sert à rien, je le crois, de surjouer le malheur et de faire croire qu’il y a crise du logement pour 99 % de la population ! La réalité est que le pays gagne plusieurs milliers d’habitants par an et non pas qu’il se vide.
De même, la crise immobilière est-elle réelle ?
Selon la maxime consacrée, la crise du logement c’est quand les prix augmentent et la crise immobilière c’est quand les prix baissent. Il existe de nombreuses publications (Commission européenne, comité européen du risque systémique) qui font état d’une surévaluation des prix immobiliers au Luxembourg de l’ordre de 50 %. Il est à souhaiter que s’il y a bulle, ce soit une bulle robuste. Car si la crise du logement régulièrement évoquée inquiète, une crise immobilière où les prix baisseraient de 50 % ferait beaucoup de peine.
Selon vous, comment pouvons-nous régler le problème jusqu’en 2030 ?
S’agissant de la dynamique des prix immobiliers, je me demande sérieusement s’il ne faut pas s’avouer que si un problème n’a pas de solution, c’est que ce n’est pas un problème, mais un fait dont la finalité est de passer l’épreuve du temps.
Disons que l’objectif décennal souhaitable serait une hausse contenue des prix de 3 % par an, sachant qu’avec 3 % de hausse par an sur une décennie vu les niveaux de prix déjà atteints, la crise du logement continuerait à être sur de nombreuses lèvres ; mais admettons.
Personnellement, je ne connais pas de mesures magiques qui garantissent que les prix évolueraient pendant une décennie de l’ordre de 3 % par an. Et si une personne me disait savoir exactement quoi faire pour que les prix n’augmentent que de 3 % par an jusqu’en 2030, je ne lui dirais pas qu’elle ment, parce que je suis bien élevé, mais je ne la croirais pas. Car quand je lis les projections économiques et démographiques du STATEC ou les plans d’investissements publics futurs, j’ai tendance à considérer que les prix pourraient bien continuer à augmenter.
J’imagine ainsi, certes sans connaître le futur, que quand le tram ira vers Belval, le prix des logements qui s’y trouvent aura tendance à augmenter. Il y a par ailleurs la bataille de la quantité à mener, le fameux et nécessaire « construire plus ». Certains évoquent la nécessité et l’objectif de construire 6 à 7 000 logements par an. La rétention foncière et la règlementation sont souvent citées comme étant les principaux obstacles au « construire plus » et il y a sans doute un peu de vrai là-dedans ; je me demande, cela dit, si la main-d’œuvre nécessaire pour augmenter la production annuelle de logements de l’ordre de 50 à 75 % ne fait pas défaut. Je n’entends pas souvent parler de cette contrainte qui n’est pas une mince affaire.
Cela semble compliqué de pouvoir sortir la tête de l’eau ?
Je ne vous le fais pas dire. C’est bien pour cela que j’avais commencé par faire remarquer qu’être ministre du Logement n’était pas un boulot facile. Cela étant dit, il y a énormément de choses qui peuvent et devraient être faites : une réforme fiscale immobilière, de la simplification administrative, la création d’un guichet unique de l’urbanisme, une plus grande implication des entreprises dans la politique de logement abordable, de la coopération en matière de logements à l’échelle de la Grande-Région, une réflexion de fond et dépassionnée sur les responsabilités envers la collectivité qui découlent de l’exercice légitime du droit de propriété immobilière, une lutte acharnée contre la vacance résidentielle, un moratoire sur les ventes en bail emphytéotique, le respect de la loi de 2006 sur le bail à usage d’habitation, l’adaptation du parc de logements au vieillissement, résoudre la question des décharges, parvenir à offrir la possibilité à des personnes modestes de se loger au Luxembourg en dépit d’un marché libre où les prix sont élevés, etc. Mais il ne faut pas, selon moi, en attendre des miracles en termes de dynamique de prix, sachant, encore une fois, que si en 2030 le prix du m2 revenait à son niveau de 2010, ce ne serait pas un miracle, mais une catastrophe !
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