Le secteur du logement constitue l’un des plus gros challenges à relever au Luxembourg. Pourquoi ? Vit-on réellement une crise du logement ? Quelles sont les points à retenir des dernières études ? Et les solutions à apporter ?

Le point avec Julien Licheron, Chercheur au Liser. 

On entend partout parler de crise de logement, quel est votre avis sur la question ?

En réalité, on entend parler de « crise du logement » au Luxembourg depuis des décennies, en tous les cas au-moins depuis mon arrivée dans le pays en 2009… Il faut dire que la situation particulière (et enviable) du Luxembourg, avec une croissance économique soutenue et régulière, couplée à une forte croissance démographique, a pour conséquence (plus délicate) des besoins très importants sur les fronts du logement et des transports. C’est sans doute la raison pour laquelle ces deux secteurs constituent deux des plus gros challenges du Luxembourg depuis de nombreuses années.

Mais le terme de « crise du logement » pourrait revêtir au-moins deux réalités au Luxembourg, de mon point de vue. D’une part, il peut traduire une « pénurie » de logements, une difficulté à augmenter la production de logements (qui tourne ces dernières années autour de 4.000 logements nouveaux construits par an) alors que les besoins en logements sont très importants. D’autre part, le terme de « crise du logement » révèle aussi des difficultés croissantes pour une part de plus en plus importante des ménages à accéder à la propriété, ou même plus simplement à accéder à un logement. Les travaux récents de l’Observatoire de l’Habitat ont montré que la part du budget que les ménages consacrent aux dépenses de logement était en nette progression depuis des années, et que la situation était d’autant plus difficile pour les nouveaux arrivants les plus précaires, souvent locataires de leur logement.

A chaque décennie, ses défis à relever. Selon vous, quels sont ceux de 2020-2030 ?

Le premier défi, c’est à mon avis d’abord d’augmenter la production de logements, pour rapprocher l’offre de la demande et ainsi freiner la hausse des prix. Là encore, les travaux de l’Observatoire de l’Habitat ont montré que ce sont notamment les difficultés à mobiliser les terrains à bâtir qui expliquent la faible progression de l’offre. Le potentiel de terrains non bâtis déjà affectés à des fins résidentielles est assez considérable, sans qu’il ne soit nécessaire d’envisager à court/moyen terme des extensions massives des périmètres constructibles. Mais les terrains constructibles sont très majoritairement en mains privées, et il existe peu d’incitations pour les propriétaires privés à vendre leurs terrains ou à les mettre en construction. Il est nécessaire, à mon avis, de trouver des solutions pour renforcer la mobilisation de ces terrains. La taxe nationale sur les terrains non bâtis dont il est actuellement question peut être une solution intéressante à ce problème.

Le second défi, c’est celui du logement abordable, puisqu’une part croissante de ménages a aujourd’hui des difficultés à se loger. Historiquement, le Luxembourg a fait le choix de favoriser l’accès à la propriété plutôt que celui de la location « sociale ». Le nombre de logements locatifs sociaux est donc assez faible en proportion du parc de logements au Luxembourg, en comparaison avec de nombreux autres pays européens. Augmenter la part de logements locatifs sociaux et/ou trouver des solutions nouvelles pour fournir des logements abordables constitue donc un challenge majeur pour le Luxembourg, en particulier si le pays souhaite poursuivre sa stratégie de croissance démographique et économique.

La crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur le marché du logement ?

La crise sanitaire que nous avons traversée ne semble avoir eu qu’un impact limité sur le marché de l’immobilier résidentiel au Luxembourg : hormis une baisse relativement modérée de l’activité pendant la durée du confinement du premier semestre 2020, l’activité s’est maintenue ces deux dernières années à des niveaux comparables à ceux relevés en 2018 ou 2019. 

Quelles conclusions pouvons-nous retenir des dernières données en termes de logement ?

Les prix des logements, quant à eux, ont continué leur forte hausse au-moins jusqu’au troisième trimestre 2021. Les données les plus récentes disponibles indiquent une augmentation de 13,4% de l’indice des prix des logements (fourni par le STATEC) entre le 3e trimestre 2020 et le 3e trimestre 2021. Cette forte hausse se situe dans le prolongement de l’accélération dans la hausse des prix relevée depuis le milieu de l’année 2018 au Luxembourg.

Cette hausse des prix a progressivement touché de nombreux pays européens, sous la pression notamment d’une forte demande en logements et de taux d’intérêt historiquement bas, portant en particulier la demande des investisseurs locatifs. Au 3e trimestre 2021, la hausse des prix atteint ainsi 9,2% en moyenne sur douze mois dans l’Union européenne, et dépasse 10% dans de nombreux pays d’Europe occidentale. Le Luxembourg ne fait donc plus figure d’exception, même s’il reste l’un des pays affichant les taux de croissance des prix des logements les plus élevés.

Comment imaginez-vous les prochaines évolutions ?

La période que nous traversons actuellement est pleine d’incertitudes, entre la sortie de la crise sanitaire et la situation géopolitique… Pour les prochains mois, je pense que le contexte inflationniste et la hausse des taux d’intérêt peuvent avoir un effet non négligeable sur le marché résidentiel, mais les besoins en logement restent importants, donc je ne vois pas de raison qui impliquerait un changement total sur le marché de l’immobilier résidentiel. 

En revanche, un retour à une hausse des prix plus comparable à celle observée entre 2010 et 2017 (entre 4,5% et 5% par an) peut s’envisager à court/moyen terme, les taux de croissance observés ces trois dernières années n’étant pas soutenables sur une longue période, à mon avis. 

A plus long terme, une augmentation de l’offre de logements (passant notamment par une mobilisation plus forte des terrains à bâtir) permettrait de rapprocher l’offre de la demande, et ainsi de contenir encore mieux la progression des prix de l’immobilier.